PROJECTIVES (MÉTHODES)

PROJECTIVES (MÉTHODES)
PROJECTIVES (MÉTHODES)

Les méthodes projectives, appelées encore «techniques projectives», constituent, au sein des épreuves psychométriques, une vaste famille de tests de personnalité, dont il est malaisé de cerner avec précision les contours [cf. PSYCHOMÉTRIE]. Bien que les tests classés sous cette étiquette soient parfois d’origine très ancienne, contemporains des débuts de la psychologie expérimentale, l’expression elle-même est beaucoup plus récente. C’est en effet en 1939 que, dans un article paru dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences de New York et intitulé «Méthodes projectives pour l’étude de la personnalité», Lawrence K. Frank introduisit ce concept pour rendre compte de la parenté entre trois épreuves psychologiques: le test d’association de mots de Jung (1904), celui de Rorschach (1921) et le T.A.T. (thematic apperception test ) de Murray (1935). Frank montrait que ces techniques constituent le modèle d’une investigation dynamique et holistique de la personnalité, c’est-à-dire que celle-ci y est envisagée comme une totalité en évolution, dont les éléments constitutifs sont en interaction.

En 1948, Frank a précisé ces notions de la façon suivante: «Dans son essence, une technique projective est une méthode d’étude de la personnalité qui confronte le sujet avec une situation à laquelle il répondra suivant le sens que la situation a pour lui, et suivant ce qu’il ressent au cours de cette réponse. Par suite, tout peut être utilisé comme technique projective, y compris les tests d’intelligence, à condition que l’examinateur considère par quel moyen idiomatique le sujet a répondu au test, au lieu d’utiliser les habituelles mesures normatives de comparaison [...] Le caractère essentiel d’une technique projective est qu’elle évoque du sujet ce qui est, de différentes manières, l’expression de son monde personnel et des processus de sa personnalité.»

Les techniques projectives peuvent être considérées comme issues de la rencontre de la psychologie structurale et de la psychanalyse. Le terme de projection, en psychologie, a d’abord été employé par Freud, avec des acceptions assez différentes et qui ne coïncident que partiellement avec celle qui a été proposée par Frank. D’une part, Freud utilise le mot de projection pour désigner un mécanisme de défense contre l’angoisse; dans ce sens, la projection consiste à attribuer ses propres tendances, désirs ou sentiments à autrui, par un mécanisme de protection permettant au sujet de ne pas prendre conscience de l’existence en lui-même de ces phénomènes jugés indésirables. D’autre part, il appelle également «projection» un mécanisme beaucoup plus général consistant en ce que la somme de nos perceptions antérieures tend à influencer la perception des stimuli actuels [cf. PROJECTION (psychanalyse)].

Classification

Diverses classifications des méthodes projectives peuvent être proposées, selon la perspective envisagée et les critères retenus. La plus satisfaisante reste celle de Frank, qui distingue cinq catégories.

Dans le cas des méthodes constitutives , le sujet doit appliquer une structure ou une organisation à un matériel non structuré, plastique, ou à une situation partiellement structurée.

Le test de Rorschach en est l’exemple le plus typique. C’est aussi le test projectif le plus connu, le plus utilisé et qui a fait l’objet du plus grand nombre de publications. Mis au point en 1921 par le psychiatre suisse Hermann Rorschach, il est constitué par 10 planches, reproduisant chacune une tache d’encre, noire ou polychrome, obtenue en versant de l’encre sur une feuille de papier et en pliant ensuite cette feuille par le milieu. On a ainsi une tache présentant un axe de symétrie vertical, aux contours plus ou moins découpés et à la texture variable. Les planches sont présentées successivement au sujet, qui est prié de dire ce qu’il y voit. Le stimulus visuel est donc peu structuré, et la tache est typiquement constitutive au sens de Frank.

Chaque réponse du sujet est envisagée systématiquement sous trois aspects principaux, qui répondent aux trois questions: où? pourquoi? quoi? et qui correspondent respectivement à ce qu’on appelle la localisation, le déterminant, le contenu. Il s’y ajoute des notations accessoires, portant notamment sur la verbalisation, la répartition des temps consacrés aux différentes planches, le caractère fréquent ou rare des interprétations. Le test ne repose sur aucune base théorique générale et les principes d’interprétation sont essentiellement empiriques. Bien qu’il soit utilisé aussi bien auprès de l’enfant que de l’adulte et du sujet âgé, bien qu’il ait trouvé des applications dans tous les secteurs de la psychologie, son utilité et sa validité sont inégales selon les domaines d’application. C’est certainement dans celui pour lequel il a été élaboré, c’est-à-dire la pathologie mentale, qu’il joue le rôle le plus important; il n’a probablement pas été égalé dans l’étude des psychoses organiques et des psychoses schizophréniques, qui constituaient le point de départ des observations de Rorschach.

Le test de Rorschach a donné naissance à un grand nombre d’épreuves parallèles ou dérivées, certaines plus simples et plus brèves, d’autres destinées aux applications collectives, d’autres enfin conçues pour permettre une cotation plus précise et plus adaptée à un traitement statistique rigoureux (test des taches d’encre de Holtzman).

Les méthodes constructives consistent en ce que le sujet doit, à partir d’un matériel défini, construire des structures plus larges.

Le «test mosaïque» de M. Lowenfeld peut être tenu pour le prototype de cette série d’épreuves. Décrit dès 1930, il se compose de 456 petites plaquettes réparties en 6 couleurs et 5 formes différentes. On demande au sujet de construire, à l’aide de ces pièces, un dessin quelconque dans un cadre limité. Le principe de l’épreuve repose sur la conception simple que la structure de la personnalité se projette dans la structure de la construction qu’il réalise.

C’est également à Lowenfeld que l’on doit l’idée du «test du monde», conçu à l’origine pour l’examen psychologique des enfants. Le sujet est prié de disposer à sa guise sur une table des objets ou figurines en bois représentant des maisons, des arbres, des voitures, des personnages. En France, Arthus a mis au point en 1949 une épreuve du même type, le «test du village». L’enregistrement des résultats comme leur interprétation sont assez complexes et mettent en jeu des postulats théoriques, dont la validité n’a pas toujours été confirmée expérimentalement.

Avec les méthodes interprétatives , le sujet doit interpréter une expérience ou une composition ayant une signification affective.

Le T.A.T. est un des tests les plus représentatifs de cette catégorie. C’est aussi, après le test de Rorschach, la technique projective la plus employée. On doit sa description, en 1935, aux psychologues Morgan et Murray. L’épreuve consiste en une série de dessins représentant des scènes qui comportent un ou plusieurs personnages et possèdent une signification ambiguë. On demande au sujet de raconter ce que le dessin représente, ce qui s’est passé auparavant et enfin ce que sera la conclusion de cette histoire. L’hypothèse sur laquelle repose le T.A.T. est que le sujet s’identifie avec le personnage principal, ou héros, de chaque histoire, ce personnage étant censé avoir les mêmes attitudes, motivations et émotions que le sujet. Les systèmes de cotation proposés sont généralement assez complexes, et l’interprétation pose des problèmes délicats; selon Murray, elle doit tenir compte des trois niveaux de la personnalité: les tendances refoulées, la pensée intérieure, le comportement – qui sont à rapprocher de l’inconscient, du préconscient et du conscient selon Freud.

Il convient également de citer ici le test d’association de mots de Jung, véritable ancêtre des méthodes projectives, bien que, dans l’idée de son auteur, il reposât essentiellement sur la doctrine associationniste. On prononce devant le sujet un mot, dit «mot inducteur»; le sujet doit donner le plus rapidement possible le premier mot induit que le mot inducteur a évoqué en lui. Lorsque le mot inducteur est étroitement associé à un mot induit ayant une valeur affective forte, le sujet aura tendance, plus ou moins consciemment, à remplacer ce mot induit par un autre mot à signification neutre, mais cela se manifestera par une modification de la réponse appelée par Jung «indicateur de complexe».

Les méthodes cathartiques non seulement permettent au sujet d’exprimer sa personnalité, mais encore facilitent et encouragent la production de réactions affectives ou émotionnelles. Il existe en fait peu de méthodes qui soient spécialement prévues pour la mise en évidence de telles réactions et la production d’une catharsis. Mais la plupart des techniques projectives, en certaines circonstances, peuvent être utilisées dans cette perspective. Citons en particulier les techniques artistiques, les techniques de jeu, le psychodrame.

Les méthodes réfractives se caractérisent par l’analyse des distorsions qu’imprime la personnalité aux moyens normaux et conventionnels de communication sociale, tels que le langage et l’écriture: la graphologie tient une place importante et bien connue dans ce domaine.

Méthodes projectives et psychologie projective

Dégager une conclusion d’ensemble sur l’importance réelle, l’influence et la validité des techniques projectives est une tâche impossible: le volume des articles et ouvrages publiés interdit pratiquement au spécialiste de tenir à jour une documentation complète; on y rencontre les opinions les plus extrêmes et les plus contradictoires allant du zélateur enthousiaste au détracteur passionné; il est probable d’ailleurs que ces méthodes ne sont pas de celles qui attirent spontanément les esprits portés à la recherche expérimentale et objective.

On peut se faire une idée de l’importance effective de l’utilisation concrète de ces techniques à partir d’une enquête de Sundberg (1961), qui estimait que le test de Rorschach était administré aux États-Unis à un million de personnes par an au moins; ce qui exigeait approximativement cinq millions d’heures de travail de psychologues cliniciens (l’équivalent de 571 années), le coût total incombant aux patients étant d’environ 25 millions de dollars.

Le recensement de la bibliographie en langue anglaise fait apparaître à la fin de 1968 un total de 3 747 références concernant le seul test de Rorschach avec un accroissement actuel d’environ 120 références par an. Il faut toutefois signaler un déclin relatif de la popularité des techniques projectives dans leur ensemble. Parmi les 689 références (en langue anglaise) relevées avant 1939 dans le domaine des tests de personnalité, 26 p. 100 concernaient les techniques projectives. Cette proportion alla ensuite en augmentant régulièrement, atteignant un maximum de 66,1 p. 100 en 1951. Depuis 1955, elle n’a cessé de décroître pour tomber aux environs de 27 p. 100 en 1968 (chiffres empruntés à O. K. Buros).

Ces chiffres semblent bien indiquer qu’un certain engouement pour les techniques projectives correspondait à une époque aujourd’hui dépassée de la psychologie clinique. Certaines prises de position hostiles sont significatives, telle celle de A. R. Jensen (université de Californie, Berkeley), qui ne craint pas d’écrire, en 1965, «qu’il ne semble pas déraisonnable de recommander que le Rorschach soit complètement abandonné en pratique clinique et qu’on n’exige plus des étudiants en psychologie clinique de gaspiller leur temps à apprendre cette technique [...]. En attendant, le développement du progrès scientifique en psychologie clinique pourrait bien se mesurer à la vitesse à laquelle elle se débarrassera définitivement du Rorschach».

Il est donc bien certain que les travaux et recherches sur ces techniques ne sont pas parvenus à convaincre la totalité des psychologues de leur validité. Il est évident aussi, et cela est regrettable, que la vaste littérature sur les tests de personnalité n’a pas encore réussi à constituer un corps de connaissances homogène et cohérent, qui soit acceptable par la majorité des spécialistes.

Il serait néanmoins injuste et erroné de s’en tenir à un verdict aussi sévère et aussi peu nuancé. D. Anzieu a justement souligné que l’importance de ces techniques réside ailleurs qu’en un souci de rigueur dans l’administration de la preuve et qu’elles ont suscité une nouvelle façon de pratiquer la psychologie: cette psychologie projective déborde la simple construction ou application de tests, mais tire son origine de leur découverte. «Jusqu’à cette découverte, le chapitre final sur la personnalité, dans les manuels de psychologie, était remarquablement vide. Mis à part les paragraphes sur la classification des caractères, laquelle remonte à l’Antiquité grecque, et ceux consacrés aux influences sociales, lesquelles furent découvertes par l’école sociologique française [...], ce chapitre se réduisait à l’analyse philosophique des fonctions du moi [...]. Si maintenant on commence à penser que le manuel idéal de psychologie contemporaine devrait commencer par la personnalité, toutes les autres fonctions en dépendant, et si le psychologue a désormais quelque chose à dire sur la personnalité, c’est aux tests projectifs qu’on le doit.»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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